Témoignage d’une adulte guérie d'un cancer pédiatrique - Néon

« Être une adulte guérie d’un cancer pédiatrique ne rend ni plus forte ni foutue à vie. »

Guérie d’une leucémie survenue dans sa petite enfance, notre journaliste raconte ce que ça fait d’être une adulte en bonne santé, mais toujours un pied dans un lit d’hôpital.

Je suis toute petite, allongée sur une table d’opération. Trois ou quatre silhouettes immenses me surplombent, en contre-jour de l’écrasante lumière blanche braquée sur moi. Je ne peux ni bouger ni parler, je ne sais pas si elles me parlent, mais je les entends dans ma tête. Et puis l’odeur de gaz et de caoutchouc collée sur mon visage. C’est mon tout premier souvenir. Contrairement aux apparences, ça n’a rien à voir avec une rencontre rapprochée du quatrième type. Extrait d’un texte que j’ai écrit pour Deuxième Page, le 07/03/2021.

Juillet 1990, Hôpital Enfants-Adolescents de Nantes. Cette opération sous anesthésie générale sert à me poser un cathéter veineux central. J’en garde deux minuscules cicatrices autour du cœur. J’ai deux ans neuf mois et une leucémie aigüe lymphoblastique diagnostiquée depuis peu – un cancer du sang et de la moelle osseuse, dont les symptômes s’aggravent rapidement. Dix jours sont passés entre les premiers signes et le verdict du pédiatre : anormalement fatiguée, pâle et irritable. J’ai été soignée à une heure de route de chez moi, ma famille a du s’organiser.

Un parcours de vie imposé, sans coupable
Tout le monde connait hélas le sujet du cancer, mais pas forcément le fait qu’il touche aussi les enfants et les adolescent·es, même les bébés. Je fais partie de ce groupe informel des adultes guéri·es d’un cancer pédiatrique. J’ai choisi de retracer cet angle de mon histoire de vie, complété de celui d’autres survivant·es, pour l’expliquer simplement sans susciter de la pitié ou de la peine.

Être une adulte guérie d’un cancer pédiatrique ne rend ni plus forte ni foutue à vie. C’est un parcours de vie imposé, sans coupable à qui demander des comptes, un va-et-vient continu entre ce passé et le présent à construire. J’en parle sans complexe quand l’occasion se présente, mais ça suscite vite quelques incompréhensions. Donc je vais vous expliquer à partir de mon expérience et tout ira bien.

Composée d’adultes guéri·es du cancer pédiatrique, Les Aguerris est un association créée en 2013. J’en ai eu connaissance dans ma boîte aux lettres début 2019. Je n’ai pas pu me rendre à la conférence nationale à Angers mais ai de suite rejoint le groupe privé sur Facebook et contacté Anne-Laure, une membre résidant comme moi à Rennes.

Depuis, nous nous sommes vues plusieurs fois avec d’autres personnes. La pandémie a mis en pause ces rencontres autour d’un verre ou d’une crêpe. De plus nous sommes des personnes plus fragiles, notamment face au Covid long. J’ai pu me faire vacciner, mais seulement grâce à mon surpoids, puisque je ne suis pas malade non plus.

Anxiété, claustrophobie et peur des clowns
« Je me souviens aussi du soir de ce Noël 1967, le pire de ma vie, où Bernard n’avait pas eu l’autorisation de sortir. Je le voyais derrière un gros bouclier de plomb, il était interdit de l’approcher. J’avais l’impression de l’abandonner, je l’ai embrassé de loin et je suis rentrée en pleurs dans l’autobus. Pour nous tous ça a été un bien triste Noël ! » Colette, sœur de Bernard, membre de l’association Les Aguerris, hospitalisé à quinze ans en 1967-1968 pour un sarcome embryonnaire à la joue gauche à Gustave-Roussy.

Les cancers pédiatriques recouvrent tous les cancers touchant les enfants de moins de 15 ans. Selon l’OMS en 2015 ils représentent 0,5% à 4,6% de l’ensemble des cas de cancers. Depuis les quatre dernières décennies le taux de guérison est d’au moins 80%, bien qu’ils restent la deuxième cause de mortalité dans cette tranche d’âge après les accidents domestiques. Par ailleurs, les cancers pédiatriques sont en progression dans certaines zones de France, impactées par l’usage intensif de produits phytosanitaires toxiques.

Les différentes hospitalisations, dont la première intensive de cent jours, m’ont laissé une anxiété et une claustrophobie permanentes, quelques souvenirs foireux comme un échec de McDo (la chimio donne à tout un goût de carton tiède) et une profonde détestation des clowns, à l’exception ensuite de Krusty des Simpsons et le Captain Spaulding de Rob Zombie. Les clowns d’hôpital, comme ceux du Rire Médecin, illuminent la vie de beaucoup d’enfants séquestrés par la maladie, mais à trois ans j’avais déjà des opinions décalées semble-t-il.

Je vis aussi avec des troubles du sommeil récurrents, creusant mon seuil de fatigue vite atteint. Les ressources publiées sur le site « Ensemble » du St. Jude Children’s Research Hospital, une société médicale à but non lucratif située à Memphis, confirment mon vécu : les changements d’habitudes de vie à l’hôpital, avec des visites nocturnes du personnel et un stress continu, puis l’anxiété et la dépression s’installant plus tard. Le sommeil ne sera plus jamais un refuge, surtout la nuit.

Des effets à long terme des traitements
« J’ai survécu, mais à quel prix ! Des traitements lourds, plutôt destinés aux adultes mais qui constituaient alors les seuls espoirs de survie. Toutes ces ponctions lombaires, autant de couteaux dans le dos dont la douleur me restera gravée à vie dans mon esprit. Malgré le temps, des images de mon séjour à Villejuif me sont restées. Ce n’est que depuis une dizaine d’années que sont reconnus les effets à long terme des traitements pendant l’enfance sur les plans physique et psychologique, et que dès lors les petits malades et leur famille sont informés. » Arnaud, membre des Aguerris, hospitalisé en 1983 pour un lymphome de Burkitt diagnostiqué à quatre ans et demi à Gustave-Roussy.

Après la maladie, la première rentrée en maternelle avec le crâne encore déplumé, la disparition progressive du cancer et du risque de rechute suivent les consultations de suivi à long terme pour contrôler l’impact de la maladie et de la chimiothérapie. Je suis une adulte guérie mais avec toujours un pied dans le lit d’hôpital. Pas toujours facile de l’expliquer à son entourage quand on dit devoir faire régulièrement un bilan sanguin, une échographie cardiaque et revoir le médecin alors que tout va bien.

Au moment où j’écris cet article, l’hématologue qui me suit n’a pas eu le temps de me rappeler pour discuter mais a déjà fait programmer mon prochain rendez-vous à Nantes pour début 2023. J’ai repris contact avec celle qui m’a soigné et suivi jusqu’à ma majorité. Elle est désormais retraitée après une riche carrière dans deux pays et m’a aidé sur cet article.

Bataille pour le droit à l’oubli
Les Aguerris a signé en mars 2015 un protocole d’accord avec la convention AERAS (s’Assurer et Emprunter avec Risque Aggravé de Santé) pour le droit à l’oubli. Anne-Laure a été confrontée au questionnaire de santé qui angoisse les personnes voulant emprunter après un traitement lourd. «L’assureur aura connaissance que vous avez eu un cancer dans l’enfance (mais pas le détail du cancer, ni des différents traitements, aucune date précise). Et il ne pourra pas prendre en compte cette information dans son analyse de risque car vous êtes dans le cas du droit à l’oubli. Il ne pourra donc pas vous imposer une surprime ou des exclusions à cause de ce cancer. En revanche, comme c’est le cas pour moi, il pourra éventuellement vous imposer une surprime ou des exclusions de garantie pour des séquelles du cancer ou pour d’autres problèmes de santé connexes.»

La loi n° 2019-180 du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l’oubli prévoit notamment d’interdire les essais cliniques sur les patient·es mineur·es, ainsi que la possibilité d’étendre le droit à l’oubli cinq ans après la fin du traitement, au lieu de dix.

Arnaud : « Par la suite j’ai découvert que j’avais un problème au niveau du coeur, un dysfonctionnement ventriculaire du fait des traitements reçus pendant la chimiothérapie. Si ça n’avait pas été détecté à temps je ne serais plus là pour en parler. J’ai donc eu un suivi auprès d’un cardiologue et des traitements médicamenteux, ça va beaucoup mieux depuis, même si certaines activités sportives me restent inaccessibles. » Mon cœur est aussi sous surveillance. Pour le moment aucun signe de nécrose due principalement à l’anthracycline, un médicament anticancéreux.

Avec certain·es Aguerris, dont Arnaud et Bernard, nous travaillons sur un livre de témoignages, pour que chacun·e puisse se réapproprier son vécu et l’utiliser comme expertise face aux autres personnes, dont les soignant·es et les parents d’enfants malades, dans une démarche de vulgarisation. « Scientia potentia est » disait le scientifique Sir Francis Bacon : le savoir est le pouvoir, celui de connaître tout son passé médical, ne pas être isolé·e face à ça, envisager une vie d’adulte en pleine compréhension de sa situation. Quand je suis trop épuisée pour tenir mon emploi du temps, je me rappelle que j’ai survécu à une leucémie avant de savoir écrire, et que tout de même, ce n’est pas rien.

Source : Neonmag.fr