Soja, cosmétiques, dentifrices, gels douche, huile essentielle… Les perturbateurs endocriniens sont largement présents dans notre quotidien alors qu’ils favoriseraient certains cancers, diminueraient la fertilité et influeraient négativement sur le développement des bébés. Quels sont-ils ? Où les trouver ? Comment se protéger ?
Selon le baromètre IRSN 2021, la perception du risque associé aux perturbateurs endocriniens continue de croître en France : de 33% en 2014 à 52% en 2020. Les effets de substances perturbatrices du système endocrinien sur la santé ont été suspectés à partir des années 1960 aux États-Unis. Ils ont été évoqués la première fois en 1991 lors de la conférence de Wingspread durant laquelle différents scientifiques internationaux se sont accordés pour considérer que des phénomènes affectant la reproduction et la santé de la faune et l’espèce humaine étaient liés à une « perturbation endocrinienne ». Mais c’est quoi exactement ? Quels dangers pour la santé ? Par quoi les remplacer ? Où les trouve-t-on surtout ? Dans quels aliments ? Cosmétiques ? Peut-on vraiment les éviter. On vous aide à y voir clair !
C’est quoi un perturbateur endocrinien ?
La santé dépend du bon fonctionnement du système endocrinien qui régule la sécrétion d’hormones essentielles au métabolisme, à la croissance, au développement, au sommeil et à l’humeur. Selon la définition communément admise est celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), proposée en 2002 et mise à jour en 2012 : » Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou de (sous-)populations « . Parmi ces problèmes de santé : la survenue de la cryptorchidie (absence d’un ou des deux testicules dans le scrotum) chez le jeune garçon, du cancer du sein chez la femme, du cancer de la prostate, de troubles du développement du système nerveux et d’un déficit de l’attention/d’une hyperactivité chez l’enfant, ainsi que du cancer de la thyroïde.
Liste (non exhaustive) des perturbateurs endocriniens
Près de 800 substances chimiques ont des propriétés perturbatrices endocriniennes avérées ou suspectées. La liste de substances suspectées de ce type d’effets est modifiée régulièrement en fonction de la production de nouvelles connaissances. Parmi elles :
► Certains pesticides (organochlorés, fongicides, herbicides)
► Plastifiants (phtalates, Bisphénol A), retardateurs de flamme (PBDE), revêtements (PFAs)
► Médicaments, par exemple : Distilbène (utilisé en prévention des fausses couches de 1940 à 1977), antidouleurs, antidépresseurs (Fluoxétine)…
► Produits émis par les combustions incomplètes issues des incinérateurs, de l’industrie métallurgique et sidérurgique et à la pratique de l’écobuage des végétaux (dioxines, furanes, PCB),
► Produits d’hygiène (Triclosan) et cosmétiques (parabènes)
► Phyto-estrogènes (soja)
Quels sont les différents types de perturbateurs endocriniens ?
« Ces substances peuvent être d’origine naturelle (hormones) ou issues d’activités humaines et dites « synthétiques ». Elles sont présentes dans l’eau, dans l’air et dans de nombreux produits de consommation : industries chimiques, textiles, cosmétiques, détergents, matières plastiques, peintures… Le plus connu est le bisphénol-A, présent dans les plastiques de contenants alimentaires ou les tickets de caisse. Depuis 2010, il est interdit dans les biberons, en France. Ces molécules pénètrent dans l’organisme par voie digestive, respiratoire mais aussi par la voie cutanée (produits d’hygiène, colorants capillaires, lingettes…) Elles sont contenues dans des produits naturels comme le houblon, la bière et le soja et surtout dans des produits de synthèse : détergents, médicaments, pesticides, plastifiants, PCB, composés organo-métalliques, etc. La liste est longue… « , commente le Dr Patrick Aubé, médecin généraliste auteur du livre 20 plantes médicinales pour se soigner tous les jours aux éditions LeducS.
C’est quoi les parabens ?
Utilisés pour éviter le développement de nombreux champignons et bactéries et ainsi permettre à un produit de beauté ou d’hygiène de se conserver plusieurs mois après ouverture, les parabènes ont longtemps envahi les flacons. Il a été interdit dans les produits cosmétiques pour enfants de moins de 3 ans en 2011 par la Commission Européenne. Ce perturbateur endocrinien est suspecté d’avoir un effet proche des œstrogènes, une des hormones féminines, et donc de posséder un rôle dans certains cancers hormono-dépendant comme le cancer du sein. La fameuse inscription « sans parabène » ne signifie pas qu’il n’y a pas d’autres conservateurs toxiques. Il est en effet très souvent remplacé par le phénoxyéthanol, un autre composé au caractère allergène et potentiellement cancérogène.
Quels effets ont les perturbateurs endocriniens sur le corps ?
Le perturbateur endocrinien peut agir de trois manières différentes.
► Il peut mimer une hormone et ainsi provoquer l’effet de cette hormone.
► Il peut bloquer l’action hormonale en se fixant sur son récepteur.
► Il peut perturber la production d’hormones ou de leurs récepteurs.
Quels dangers sur la santé ?
Les perturbateurs endocriniens peuvent avoir des effets néfastes sur la santé humaine, la faune et l’environnement. Les études scientifiques ont permis de démontrer l’action des perturbateurs endocriniens sur le système reproducteur de l’organisme lui-même ou des descendants avec une détérioration de la qualité du sperme menant à des problèmes de stérilité, des accouchements prématurés ou des nourrissons au poids inférieur à la normale, un retard du développement fœtal, des troubles de la puberté chez les adolescents conduisant souvent à une puberté précoce, une augmentation des cas de malformations génitales des nouveau-nés, des modifications sur le métabolisme avec la survenue d’obésité et de diabète et l’apparition de cancers hormonaux dépendants (cancer du sein, du testicule, de la prostate et de l’ovaire). Par ailleurs, certains perturbateurs endocriniens ont déjà été associés à une altération de la qualité de l’émail des dents. Après avoir montré les effets délétères du bisphénol A sur le développement des dents, une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, d’Université Paris Cité et de Sorbonne Université, a montré en 2022 les méfaits du DEHP, un perturbateur endocrinien de la famille des phtalates, sur le développement dentaire. Selon les scientifiques, les dents de souris exposées quotidiennement à de faibles doses de cette substance présentent des défauts de l’émail dentaire comme marqueur précoce d’exposition à des toxiques environnementaux.
Quels risques de cancer ?
Le rôle de plusieurs perturbateurs endocriniens est avéré ou suspecté dans l’apparition de cancers hormonaux-dépendants (sein, utérus, prostate, testicules).
► Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a confirmé le caractère cancérigène certain (groupe 1) du/des:
diéthylstilbestrol (DES/Distilbène) : médicament contenant des estrogènes de synthèse non stéroïdiens.
traitements hormonaux de la ménopause (THM), qu’ils soient à base d’oestrogènes seuls ou d’estroprogestatifs (combinaison d’oestrogènes et de progestatifs)
contraceptifs oraux estroprogestatifs qui sont associés à une augmentation du risque de cancer du sein. Le risque semble diminuer dans les 10 années suivant l’arrêt de la contraception.
Les PCB sont impliqués dans le développement de mélanomes malins. Le formaldéhyde est impliqué dans la survenue de leucémie.
► D’autres ont été classées comme potentiellement cancérogènes comme :
les PCB dans la survenue du cancer du sein et du lymphome malin non hodgkinien ;
les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dont trois sont classés cancérogènes probables et 11 autres sont classés cancérogènes possibles pour le poumon, la vessie et la peau ;
les phtalates ont un rôle controversé dans la survenue de cancers, notamment dans les tumeurs du foie ou du testicule ;
certains pesticides organochlorés comme le chlordécone. Cette substance a été classée cancérogène possible par le CIRC en 1979.
« La grossesse, la petite enfance, la puberté sont des périodes de vulnérabilité plus importantes »
Quels sont les effets des perturbateurs endocriniens pendant la grossesse ?
« Parmi les populations les plus à risque en ce qui concerne l’exposition aux perturbateurs endocriniens : les femmes enceintes. La grossesse, la petite enfance, la puberté sont des périodes de vulnérabilité plus importantes face aux risques liés à ces substances. Il y a lieu d’être d’autant plus attentif à notre environnement immédiat au cours de ces périodes « , confirme le médecin généraliste. En effet, les fœtus sont directement exposés aux substances consommées et respirées par la femme enceinte, ou mises au contact de la peau maternelle. Le développement des fœtus étant essentiellement régulé par les hormones, le passage de perturbateurs endocriniens dans le placenta peut en modifier l’action. Résultat : des erreurs de développement conduisant à des malformations ou des pathologies peuvent survenir. Après la naissance, le nourrisson reste vulnérable car son développement n’est pas encore achevé. Le contact avec des perturbateurs endocriniens ou leur absorption par le biais du lait maternel peut donc également altérer la santé du nouveau-né. Il est donc impératif de bannir les perturbateurs endocriniens tout au long de la grossesse.
Quelques conseils pratiques peuvent être adoptés par les femmes enceintes et allaitantes :
► Utiliser le moins possible de produits cosmétiques et de lotions pendant la grossesse et l’allaitement
► Toujours choisir des produits sans parfum, et ne pas se parfumer pendant cette période
► Préférer des produits bénéficiant d’un label écologique
► Ne pas colorer ses cheveux pendant la grossesse ou l’allaitement
► Laver les objets à destination du bébé : vêtements, tissus et jouets
► Éviter l’usage quotidien de lotion ou de savon pour le bébé
► N’acheter pour le bébé que des jouets répondants aux normes Françaises et conçus pour son âge. En effet, les jouets pour les enfants de plus de trois ans peuvent contenir des phtalates.
► Facteurs de contamination
► Certains perturbateurs endocriniens sont naturels alors que d’autres, présents dans les pesticides, les appareils électroniques, les produits d’hygiène personnelle et les cosmétiques, sont synthétiques. Certains additifs alimentaires ou contaminants présents dans l’alimentation sont également susceptibles de perturber le système endocrinien. En septembre 2019, le premier volet d’une étude baptisée ESTEBAN servant à mesurer la présence des perturbateurs endocriniens dans l’organisme a montré que tous les Français étaient contaminés à différentes échelles. Les niveaux d’imprégnation des enfants étant plus élevés que ceux des adultes.
Dans quels aliments trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ?
Les aliments peuvent contenir des perturbateurs endocriniens. Première source : les emballages alimentaires, notamment en matière plastique.
►Parmi eux, les phtalates. Ils peuvent migrer dans les aliments, notamment lors d’un passage au micro-onde. Il s’agit d’une substance classée cancérogène et reprotoxique (toxique pour les organes reproducteurs ou pour la descendance). Ils ont été interdits dans les jouets et les objets de puériculture, les dispositifs médicaux et les cosmétiques.
► Autre perturbateur endocrinien dans le plastique : le BPA, pour bisphénol A, un composé intéressant de par sa grande résistance et sa durabilité. Ce dernier a largement fait parlé de lui jusqu’en janvier 2015, date de son interdiction dans les contenants alimentaires et les tickets de caisse, après avoir déjà été banni des biberons en 2011. Les études scientifiques suspectaient de plus en plus de liens entre bisphénol A et cancers du sein, maladies cardiovasculaires ou encore diabète et obésité. C’est son cousin, le bisphénol S, qui lui a emboîté le pas. Pourtant, celui-ci pourrait lui aussi affecter notre santé, et notamment le développement du système nerveux.
► Certains aliments eux-mêmes contiennent un polluant industriel fabriqué dans les années 1930 et utilisé comme isolant électrique, le PCB (pour polychlorobiphényles). C’est le cas notamment des poissons et autres produits de la pêche. Ils sont en plus forte quantité chez les poissons gras comme le saumon car les PCB se logent dans les graisses. Les poissons carnivores (truite, saumon, raie, sole…) contiennent également plus de PCB car ceux-ci s’accumulent au fur et à mesure de la chaîne alimentaire. Sur terre, les PCB présents dans le sol sont absorbés par les plantes et contaminent les herbivores (vache, chèvre, volaille…). Ils se retrouvent alors dans la viande, le lait et les œufs. Pourtant, les PCB ont été interdits dans l’industrie en 1987 mais leur très grande pérennité explique leur présence encore massive, causant des stérilités, des anomalies de croissance, des malformations chez les nouveau-nés et des dérèglements de la fonction immunitaire.
► Enfin, le soja, quant à lui, contient des isoflavones, des substances phyto-oestrogènes pouvant augmenter le risque de cancer du sein.
Dans quels cosmétiques trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ?
Les déodorants, vernis, lingettes jetables, crèmes à raser, gels douche, shampoings ou encore produits de coloration pour les cheveux contiennent des perturbateurs endocriniens. On compte notamment les phtalates, composés qui modifient l’équilibre des hormones thyroïdiennes, sont toxiques pour le système nerveux et entraînent de problèmes de fertilité. Mais aussi des parabènes et des alkyphénols ou encore du triclosan qui est toxique pour le foie et les voies respiratoires.
Quel perturbateur endocrinien dans le dentifrice ?
De nombreux dentifrices contiennent du propylparaben ou du triclosan, l’un conservateur, l’autre puissant antibactérien. Tous deux sont accusés d’être de grands perturbateurs endocriniens. Le triclosan aurait des effets sur les hormones produites par la thyroïde et sur le déclenchement de la puberté,
Quels sont les perturbateurs présents dans les maisons ?
L’air de nos logements est souvent plus pollué que l’air extérieur, car nos intérieurs concentrent de multiples sources de produits chimiques. Outre les insecticides utilisés, les produits ménagers, les revêtements des meubles et des tissus mais aussi certaines peintures sont chargés en perturbateurs endocriniens.
Parmi eux : les composés perfluorés, ou PFC, largement employés comme traitement anti tâche ou imperméabilisant pour les vêtements, les tapis, les moquettes ou encore les cires à parquet. Plusieurs études montrent qu’une exposition in utero aux PFC peut entraîner la naissance de nouveau-nés plus petits que la normale et pouvant par la suite souffrir d’obésité.
Autres produits infiltrés dans nos maisons : les polybromodiphényles éthers, ou PBDE, utilisés comme retardateurs de flamme dans les équipements électroniques (ordinateurs, téléviseurs), les matelas, les canapés, les meubles mais aussi les vêtements. Les PBDE seraient responsables de troubles du développement du système nerveux et de modification des hormones thyroïdiennes.
Enfin, les produits d’entretien et les peintures contiennent pour la plupart des éthers de glycol. Derrière ce nom chimique se cache un solvant qui facilite le mélange de plusieurs composés liquides. Le problème : les éthers de glycol semblent jouer un rôle dans la survenue de fausses couches, de malformations du nourrisson et dans la diminution de la fertilité masculine.
Les huiles essentielles sont-elles des perturbateurs endocriniens ?
Une étude menée par l’Institut national des sciences de la santé environnementale (NIEHS) a récemment souligné la dangerosité de l’huile de lavande et d’arbre à thé. Ces huiles ont des propriétés oestrogéniques et anti-androgènes, c’est-à-dire qu’elles agissent comme inhibiteurs de la testostérone. Elles peuvent donc entraver la puberté et la croissance.
Comment se protéger des perturbateurs endocriniens ?
► Limitez les emballages plastiques en préférant les matières pérennes, telle que le verre, plutôt que jetables. Si vous êtes adeptes des plats préparés, pensez à les retirer du plat en plastique avant de les faire chauffer.
► Consommer du poisson, c’est bien, mais pas plus de deux fois par semaine. Par ailleurs, diversifiez les espèces consommées et les zones de provenance.
► Les pesticides utilisés en agriculture contaminent fruits, légumes et environnement. Ce sont eux aussi, des perturbateurs endocriniens. Au niveau domestique, les pesticides sont présents dans certains produits anti poux, dans les produits anti-puces pour chiens et chats mais aussi dans les insecticides utilisés pour jardiner.
► Préférez les fruits et légumes biologiques et surtout, rincez-les bien avant de les préparer. Et si vous avez la main verte, débarrassez-vous des insectes incommodants en optant pour des solutions naturelles (citronnelle, huiles essentielles de lavande, de menthe…).
► Evitez d’utiliser trop de produits cosmétiques sur des bébés et enfants en général. Plutôt que les lingettes, privilégiez le liniment ou simplement de l’eau savonneuse pour le change.
► L’air de nos logements est souvent plus pollué que l’air extérieur, car nos intérieurs concentrent de multiples sources de produits chimiques. Ainsi, les produits ménagers, les meubles et les tissus des canapés, ou encore certaines peintures, sont chargés en perturbateurs endocriniens. Choisissez des produits d’entretien et des peintures naturels, certifiés biologiques (Ecolabel européen). Pour la déco, préférez les meubles en bois massif.
► Lavez vos vêtements neufs avant de les porter.
► Aérez au moins 20 minutes par jour votre logement pour renouveler l’air intérieur.
Source : Le Journal des Femmes Santé
Rapport historique sur les effets pour l’homme de l’exposition aux perturbateurs endocriniens chimiques. OMS. 2013
Fiche repère Perturbateur Endocrinien, Institut national du cancer, 2019.